Planète Glace: "Andes"
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4. Andes
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- Dans l'imaginaire commun, les tropiques évoquent mer turquoise et plages de sable blanc.
Associer tropiques et glaciers paraît incongru.
Pourtant, il y a bel et bien des glaciers sous ces latitudes.
Perchés dans la cordillère des Andes à plus de 5000m d'altitude, ils sont vénérés comme des dieux par les populations locales.
Mais aujourd'hui, ces dieux sont amenés à disparaître.
En Bolivie, l'un d'entre eux a déjà disparu : le glacier Chacaltaya.
Il dominait la capitale, La Paz.
Le glaciologue Bernard Francou, directeur de l'Institut de recherche pour le développement en Bolivie, a suivi son agonie.
Pendant 15 ans, il a tenu la chronique funèbre de la 1ere disparition d'un glacier andin.
- Ça m'impressionne de voir ça.
J'ai commencé à étudier ce glacier en 91.
On a mis des balises.
Parce que les petits glaciers sont plus sensibles.
A l'époque, c'était une station de ski importante.
On avait là entre 4 et 6 hectares de glacier.
- Chacaltaya était la seule station de ski de Bolivie.
A plus de 5300m d'altitude, c'était aussi la piste de ski la plus haute du monde.
La disparition du glacier est-elle liée à des conditions locales, ou est-elle le signe précurseur d'un phénomène de grande ampleur?
- Avec les données qu'on avait en 91, on pensait que ce glacier aurait disparu en 2015, 2020, peut-être...
Et c'est allé beaucoup plus vite.
Et comme 80% des glaciers de la cordillère Royale ont à peu près cette taille, on s'attend à ce que beaucoup disparaissent.
- Les glaciers sont dans ces régions d'une importance capitale pour la biodiversité, l'approvisionnement en eau potable, l'irrigation et l'énergie hydroélectrique.
Leur disparition serait catastrophique pour la faune, la flore et les populations locales.
Depuis plus de 20 ans, Bernard Francou et son équipe tentent d'élucider les causes du recul des glaciers andins.
Leur enquête se déroule à plus de 6000m d'altitude.
- Etudier des glaciers ici, ça pose des problèmes physiques, physiologiques : le glaciologue doit monter jusqu'à 6000m, régulièrement.
Néanmoins, il y a un avantage à travailler sous les tropiques, c'est qu'ici, il n'y a pas vraiment d'hiver.
On peut donc faire du suivi assez fin de tous ces glaciers pendant toute l'année.
- Si l'hiver est peu marqué dans les Andes boliviennes, c'est parce qu'elles sont dans la zone intertropicale.
Les rayons du soleil tombent à la verticale quasiment toute l'année.
Les températures varient peu.
C'est le régime des précipitations qui marque les saisons.
Le glaciologue Jean-Emmanuel Sicart travaille sur le lien probable entre le recul des glaciers et les variations climatiques qui affectent les deux saisons de la région.
Il analyse le rayonnement solaire et les précipitations que reçoit le glacier.
- Ici, on est dans une belle journée ensoleillée, et ça fond très peu.
Comment ça marche, ici, au point de vue saisonnier ?
- On a un contexte très diffèrent de ce qu'on connaît dans les Alpes, où on a un hiver bien marqué, des chutes de neige, ça fond pas...
et l'été, pas de chutes de neige et ça fond.
ici, les saisons sont dirigées par les précipitations et les nuages.
On a une saison sèche.
il peut y avoir deux mois sans précipitations.
Et effectivement, ça fond très peu.
Les nuits sont froides, la surface refroidit.
Le jour, il faut ramener la surface à zéro degré pour avoir de la fonte.
Il n'y a pas assez d'énergie pour faire fondre le glacier: on retombe dans un cycle de nuit.
Alors qu'en saison des pluies, il va y avoir beaucoup de fonte et en même temps des chutes de neige.
- Dans l'hémisphère Sud, c'est en décembre que le rayonnement solaire est le plus fort.
L'élévation de la température devrait provoquer la fonte de la glace.
Mais décembre est également au coeur de la saison des pluies.
Les chutes de neige, arrêtant une partie du rayonnement solaire, protègent le glacier.
Il suffit que la saison des pluies se décale de quelques jours pour que la machine se détraque.
Comprendre le recul des glaciers andins, c'est donc s'intéresser au climat et plus particulièrement aux facteurs régulant l'arrivée.
Il y a un lien étroit entre la fonte des glaciers et le plus grand régulateur climatique et thermique du monde, l'océan Pacifique,
qui s'étend à l'ouest des Andes, au pied de la Cordillère.
Cet océan stocke 70% de l'énergie solaire sous la forme d'une gigantesque réserve d'eau chaude, dont la superficie serait équivalente à celle de l'Europe.
Elle est à l'origine d'un phénomène climatique appelé "El Nino".
Normalement, cette masse d'eau chaude se trouve proche des côtes australiennes.
Mais sous l'action des alizés et des courants marins, elle glisse de façon cyclique vers l'est du Pacifique.
- Cette grosse masse d'eau chaude qui vient déferler vers les côtes américaines, c'est vraiment un phénomène "El Nino".
La conséquence, c'est que, 3 à 7 mois après, on a l'atmosphère sur les Andes qui s'échauffe.
Et dans certains endroits, comme en Colombie ou en Bolivie, on a une baisse des précipitations pendant la saison des pluies.
La baisse des précipitations, l'augmentation de la température sur toute la colonne atmosphérique, c'est pas bon pour les glaciers.
- Le recul des glaciers des Andes est-il uniquement lié au phénomène El Nino, ou est-il dû à un évènement nouveau ?
Pour le savoir, il faut connaître l'évolution du glacier sur une échelle de temps bien plus longue.
Vincent Jomelli, directeur de recherche au CNRS, étudie les moraines glaciaires,
les roches poussées par le glacier et abandonnées sur place lors de son retrait.
Depuis des millénaires, le glacier Charquini laisse, au gré de ses retraits et de ses avancées,
des bourrelets de roche et de terre parfaitement dessines.
On lit dans cette succession de dépôts comme dans un livre ouvert narrant l'histoire du glacier.
Pour déchiffrer cette histoire, il faut dater les dépôts rocheux.
La façon la plus utilisée pour déterminer l'âge d'un élément ancien est la datation au carbone 14.
Mais il faut trouver de la matière organique contenant du carbone.
Vincent Jomelli cherche donc des débris de végétaux emprisonnés par la moraine lors de l'avancée du glacier.
- On voit bien les filaments.
Elle est en bon état.
Les âges qu'on va obtenir seront corrects.
On avait de la végétation, là.
Puis le glacier avance, car le climat est un peu plus froid.
Et dans son avancée, il pousse cette végétation, qui meurt et se transforme en tourbe.
- Donc, la poussée du glacier, qui a mis en place la moraine, s'est faite après l'âge que tu vas trouver pour la tourbe.
Exactement.
- La tourbe résulte de l'accumulation de végétaux qui se développent sur des sols très humides, comme le pied d'un glacier.
Lorsque le glacier a avancé, la tourbe s'est retrouvée prise dans la moraine.
Au fil du temps, ces végétaux se sont fossilises.
- On en prend un en surface, un autre un peu plus loin, par-là, et puis un en dessous.
- Répertories et soigneusement emballés, des échantillons de tourbe seront datés au carbone 14.
Pour dater les moraines, on peut aussi s'appuyer sur ces gros rochers, témoins de la vie du glacier.
- Il en faut une vingtaine, pour avoir une idée précise de la mise en place de la moraine.
Il est bien, hein.
Plat, assez gros, bien stable, situé sur la crête...
Il a été mis en place au moment de l'avancée du glacier, et depuis, il n'a pas bougé.
La paroi est loin.
Il n'a pas pu tomber et venir là.
- Ces gros blocs ont été déplacés par le glacier sur de longues distances lors de son avancée.
Lorsque le glacier s'est retiré, que la glace a fondu, ils sont restés échoués sur le sol.
- En fait, le bloc est protégé de la lumière par la glace, le glacier se retire, la glace fond et les rayons cosmiques vont frapper le caillou.
Une réaction se fait à l'intérieur, et un chronomètre se déclenche.
Du coup, je vais avoir l'âge exact -Le rayonnement cosmique provoque une réaction au coeur de la roche qui modifie les cristaux de quartz et d'autres minéraux.
L'apparition de cette modification sera identifiée et datée en laboratoire.
Chaque prélèvement révélera le moment où le bloc de pierre a été déposé sur le sol après le retrait du glacier.
- Je suis à un centimètre...
Je cherche à reconstituer l'histoire du glacier depuis 1000 ans.
On a vu de la tourbe.
Elle témoigne qu'il y a mille ans, on avait de la végétation assez proche d'aujourd'hui.
- Un paysage comparable.
- Le glacier était loin.
Et au cours du petit âge de glace, autour du 16e, 17e siècle, le climat se refroidit, le glacier avance, il constitue cette moraine...
Puis le climat se réchauffe lentement, de manière naturelle, et le glacier recule peu à peu en déposant ces moraines, pour atteindre une situation, à 700m,
qui correspond à l'état du glacier au début du siècle.
- Ce que tu fais nous intéresse, car tu mets en perspective le recul extraordinaire qu'on mesure depuis 30 ans.
On a un recul progressif qui s'est étalé sur des siècles, et puis, depuis 30 ans, le climat bascule, et le glacier se réduit d'une façon incroyable.
Si on extrapole cette tendance, on peut penser que dans 10 ans, il n'y aura plus de glacier.
- Les glaciologues confirment ce qui se voit à l'oeil nu.
Le retrait du Charquini a connu une accélération brutale.
En 40 ans, il a autant reculé que pendant un siècle.
Les soupçons des scientifiques un phénomène nouveau est à l'oeuvre.
Il n'a rien à voir avec le cycle ordinaire d'avancées et de retraits des glaciers de cette région.
1976 est une date clé pour Bernard Francou.
- 76, c'est l'année à partir de laquelle on constate un fort réchauffement du Pacifique.
C'est lui qui influence la fonte des glaciers.
Mais quand on regarde, à l'échelle globale, la courbe de températures publiée par le rapport du GIEC, on s'aperçoit aussi que c'est à partir de 76 que la température mondiale
commence à s'échauffer.
Donc, on sait sans ambiguïtés que le réchauffement actuel, depuis 50 ans au moins, vient de la composition atmosphérique, de ces fameux gaz à
effet de serre qu'on injecte dans l'atmosphère.
- L'emballement du recul des glaciers depuis 40 ans résulte de la conjugaison de deux phénomènes :
un réchauffement cyclique naturel du Pacifique par-dessus lequel vient s'ajouter le réchauffement global lié aux activités humaines.
Le volume des glaciers dans les Andes s'effondre.
Entre 1975 et 2006, il a diminué de 43%.
Le recul brutal des glaciers n'est pas sans conséquences.
En reculant, un glacier découvre une bande de sol déglacé où la vie n'a pas encore eu le temps de se réinstaller.
Cette zone instable a un impact important sur la biodiversité.
Les conditions de vie y sont extrêmes.
Olivier Dangles, biologiste à l'IRD, étudie les torrents issus de la fonte des glaciers.
Avec un étudiant bolivien, il se rend au pied du glacier du Zongo, à 30km de La Paz.
- Olivier, c'est ici que se trouvait le glacier, il y a 7 ans.
- On voit que le glacier se trouve 40m plus haut qu'il y a 7 ans.
il a reculé de 50m, plus ou moins.
Les animaux qui habitaient ici habitent désormais bien plus haut.
sont plus compliquées.
il y a moins d'oxygène, là-haut.
La vie est plus difficile.
Allons voir si nous trouvons des animaux, là-haut.
- Dans ces eaux froides et pauvres vit cependant une population de micro-invertébrés, larves d'insectes ou crustacés.
Ces êtres minuscules sont à la base de la chaîne alimentaire.
Plus bas, les oiseaux et les poissons s'en nourrissent.
- Les ruisseaux glaciaires sont des milieux hostiles, notamment en termes de gel et dégel du glacier tous les jours.
Cela diffère des ruisseaux en zones tempérées.
Des particules d'argile drainées par le glacier rajoutent au stress.
On a peu d'oxygène, et on a très peu de matière alimentaire pour que les invertébrés puissent se nourrir.
- Certains invertébrés ont développé des adaptations très spécifiques.
- Il y a beaucoup de représentants d'un groupe qui dominent : les diptères.
Ce sont des mouches qui vivent ici.
Des gros, des minces.
On voit chez certains des branchies qui leur permettent de respirer là où il y a peu d'oxygène.
Ils dominent généralement la zone la plus proche du glacier.
Ce sont des espèces endémiques des ruisseaux de certains glaciers.
Nous trouvons aussi d'autres groupes moins fréquents.
Ils ont une sorte de ventouse, à la limite de l'abdomen.
Elle leur permet de se fixer aux rochers, quand il y a une augmentation du débit du glacier.
d'altitude sont des îlots de vie isolés.
La migration des invertébrés y est extrêmement restreinte.
- Le macro-invertébré aquatique a des challenges à relever: que faire face au retrait glaciaire ?
S'il monte avec le glacier, il aura des problèmes d'oxygène: plus on monte, moins il y en a.
S'il descend, ce qui est possible, il sera en compétition avec d'autres organismes.
S'il reste à sa place, comme il fera plus chaud, il aura une demande en oxygène plus forte, or, le taux d'oxygène restera le même.
On retrouve des espèces particulières qui, quand le glacier disparaîtra, disparaîtront aussi.
elles sont uniques, dans ces milieux.
- Les invertébrés vivant sur le front glaciaire ne sont pas les seuls organismes menacés par le recul des glaciers.
Les terrains libérés de la glace constituent un espace vierge offert aux plantes.
Les candidates à la colonisation doivent faire face à des conditions très sélectives.
Dans la zone du glacier du Zongo récemment libérée de la glace, Fabien Anthelme, spécialiste des plantes à l'IRD, délimite un périmètre
pour recenser les pionnières de la colonisation végétale.
- Le glacier s'est retiré de cette zone il y a 5 ou 6 ans.
Très récemment, donc.
C'est une opportunité, pour voir quelles sont les 1eres plantes à coloniser le milieu.
A première vue, on a l'impression que les plantes sont quasi absentes.
On a 1 ou 2% de couverture végétale au total.
Mais on va trouver environ une dizaine d'espèces, ce qui est beaucoup, pour une zone si récemment déglacée.
- Dans les Andes, la couverture neigeuse est faible.
Les plantes, exposées au froid toute l'année, subissent une sévère alternance de gel et de dégel.
Les conditions locales sont si exigeantes que seules les plantes les plus opportunistes tirent leur épingle du jeu.
- A ce stade de la colonisation, ces plantes ont une stratégie: disperser leurs graines par le vent.
ce qui leur permet d'accéder au site rapidement, contrairement aux autres espèces.
- Dans cet univers minéral et glace, les plantes ne peuvent compter que sur leurs propres ressources pour essaimer.
Ni les animaux ni les insectes ne transportent leur semence.
Coiffées de plumets, ces graines décollent au moindre souffle d'air et flottent au gré du vent.
Les pollens, au contraire, ont des formes crènelées.
Lors de la reproduction, elles leur permettent de s'accrocher et de résister aux vents violents de la haute altitude.
Mais ces plantes à migration rapide ne sont pas les acteurs clés.
Elles profitent de l'abri que leur offrent d'autres plantes, qui, elles, sont indispensables à la création d'un sol fertile.
- On s'est déplacés de 50m, depuis le site précèdent, le site 5-6 ans.
On se retrouve dans une zone déglacée depuis 15 ans.
Là, on commence à observer des plantes fondatrices, notamment des plantes en coussin suffisamment grandes pour créer ce micro-environnement
qui permettra à l'écosystème de se construire.
Ça se voit: dans ce coussin, on a un sol organique très noir.
Sur les abords du coussin, le sol reste très minéral.
Donc peu propice au développement des plantes.
Là, on a un effet positif très fort de cette plante en coussin sur les autres plantes.
Et c'est en effet ce qu'on va voir sur les abords de ce petit coussin.
Des individus vont coloniser ces zones-là, car il fait plus chaud et il y a plus de nutriments.
- Ces plantes en coussin, capitales pour la biodiversité, ont un développement très lent.
Cette lenteur est un handicap face au recul accélère des glaciers de la cordillère Royale.
- Cette création de sol va prendre bien plus de temps que 5 à 6 ans, et sera en décalage avec la rapidité du changement climatique.
On va se retrouver avec des zones déglacées mais pas structurées, qui ne seront pas des zones refuges pour la biodiversité ni pour le stockage de l'eau.
- Au temps où les glaciers andins étaient relativement stables, les plantes se sont développées sur de longues périodes, des centaines, des milliers d'années.
La tourbe retrouvée dans les moraines du Charquini en témoigne.
Ces plantes épaisses à la texture d'éponge déroulent au pied des glaciers de gigantesques tapis qui capturent et retiennent l'eau de fonte.
Ces zones sont précieuses pour la vie de nombreux insectes et pour les herbivores comme le lama, l'alpage et la vigogne, emblématiques de la région.
Durant la saison sèche, elles constituent des réservoirs qui fournissent l'eau aux villes.
Si les glaciers qui dominent La Paz disparaissaient, les conséquences seraient catastrophiques pour cette ville de plus d'un million d'habitants.
Au cours du dernier siècle, La Paz n'a cessé de grandir.
La densité est devenue telle qu'une 2e ville a vu le jour sur les plateaux.
Désormais, les ressources en eau de cette immense agglomération sont sous pression.
Bernard Francou et l’'hydrologue Edson Ramirez sont préoccupés:
le réchauffement climatique et les fluctuations de la saison des pluies font craindre le pire.
- Que va-t-il se passer si tous ces glaciers disparaissent?
- On aurait d'abord une augmentation des débits de l'eau.
Mais après, on aurait une diminution de ces débits.
- Une augmentation ? Pourquoi ?
- Parce que, en réalité, on aurait une fonte importante des glaciers, et donc une plus grosse production d'eau.
Donc, dans un 1er temps, cela donne l'impression qu'une plus grande quantité d'eau est disponible.
- La réserve solide devient liquide.
Exactement.
- La solution la plus simple est de remplacer les glaciers par des retenues artificielles.
Ces réserves peuvent contenir des millions de mètres cubes d'eau.
- Avec la disparition de cette ressource solide, il y aura d'abord un plus gros apport en eau, mais après, la seule ressource qui nous restera sera la pluie.
- Les pluies suffiraient-elles à satisfaire les besoins en eau de la région ?
Rien n'est moins sûr.
Depuis 40 ans, l'effet El Nino engendre des fluctuations du régime des précipitations.
Or, durant cette même période, les villes ont connu une croissance folle et incontrôlée.
La demande d’hydroélectricité explose, les besoins en eau potable aussi.
- Ces fluctuations de la demande, en considérant les fluctuations dans les volumes d'eau disponibles, peuvent provoquer des déphasages.
Des pics de demandes en déphasage avec des pics d'offre provoqueraient des déséquilibres au niveau de la gestion de l'eau.
- Coupée de la nature, la population de La Paz est inconsciente de l'impact que pourrait avoir le recul des glaciers.
Dans l'esprit collectif, l'eau est une ressource illimitée.
Les bouleversements écologiques en cours construire des ouvrages pour stocker l'eau coûte cher.
- Et toi, penses-tu qu'à La Paz, la population est prête à payer l'eau à son juste prix ?
- Et pourquoi ? du point de vue culturel, nous avons toujours été en communion avec cette ressource.
Donc, nous pensons pouvoir y avoir accès gratuitement.
Mais nous devons commencer à penser que, même si l'eau est un bien naturel, son coût sera à l'avenir de plus en plus élevé.
- Les sociétés andines ont un rapport particulier à la nature.
Même si le catholicisme s'est imposé, on vénère toujours la Pachamama, la terre nourricière.
Depuis des milliers d'années, l'eau des glaciers est un présent des dieux qui a permis l'agriculture au milieu de déserts arides.
Au Pérou, le pèlerinage du Qoylluriti est l'évènement majeur de l'année.
Dès le début du mois de juin, des milliers de pèlerins convergent vers le glacier Colquepunku dans la région de Cuzco, au coeur de la cordillère Blanche.
Depuis toujours, les populations andines rendent hommage au glacier, qui leur offre une eau qu'ils jugent miraculeuse.
- Si on n'a pas d'eau, on n'a pas de vie.
L'eau est la première source de vie.
Nous venons ici pour vénérer le glacier et le seigneur Qoylluriti, pour que nous ayons de la vie, des glaciers pour subsister.
- Près de 50000 fidèles installent leur camp pour trois jours, à plus de 5000m d'altitude.
mélange la foi catholique et la cosmogonie andine.
Si on chante des cantiques, si on brûle des cierges, de la glace remplace l’hostie.
Le corps du Christ et le glacier se confondent.
Bernard Francou connaît bien la cérémonie.
Il n'y a pas assisté depuis 8 ans.
Pour son retour, il est inquiet.
Comme les autres glaciers andins, le Colquepunku rétrécit à vue d'oeil.
Si le glacier le plus sacré des Andes disparaît, une part de la culture des peuples autochtones s'effacera aussi.
Pour Bernard Francou, c'est l'occasion de trouver des témoins du recul du glacier.
- Je cherche des témoins qui puissent me dire jusqu'où les glaciers arrivaient il y a 35 ou 40 ans.
Vous avez des souvenirs de tout ça ? je viens ici chaque année.
Le glacier arrivait là où on voit les deux pierres.
Les deux monticules étaient constamment couverts de glace.
- De rares photos prises il y a 50 ans attestent de l'ampleur du recul du Colquepunku.
- Nous nous faisons du souci.
Nous avons peur de perdre ces glaciers, et perdre ainsi notre vie, notre espèce et notre planète.
Nous réalisons que l'espèce humaine peut disparaître si nous ne prenons pas soin de la nature.
- Toute la nuit, les fidèles prient jusqu'au réveil des dieux.
La cérémonie du Qoylluriti, qui coïncide avec le solstice de juin, perpétue la fête inca du soleil.
Elle réveille les esprits de la montagne et l'esprit du glacier.
Musique traditionnelle.
- Les montagnes sont le siège des "Apus".
Au Pérou.
En Bolivie, ce sont les "Achachilas".
C'est la même chose : dans ce glacier, il y a un esprit. on vient prier.
On lui demande de la santé pour ses enfants, la fortune, etc.
Le glacier est une pièce essentielle de la cosmogonie andine.
Il faut le comprendre pour essayer d'interpréter ces rituels de ces milliers de pèlerins qui se prestement devant le glacier.
- Les costumes des pèlerins traduisent la venue des peuples des hautes terres andines, habillés de peaux de bêtes, vers les peuples des basses terres amazoniennes,
parés de plumes d'oiseaux exotiques.
Ils se rejoignent sur ce haut plateau, frontière entre le monde des montagnes et celui de la forêt.
Les Ukukus, les hommes ours, sont des personnages particuliers.
Ils assurent le lien entre ces deux mondes.
Etres de l'aube et du crépuscule, à la fois filous et policiers,
porteurs de l'ordre et du chaos.
Les Ukukus forment un ordre fondé autour et sur la nature spirituelle du glacier.
- lis pensent vraiment, c'est le fond de leur religion, que le glacier est habité par l'esprit, par l'Apu.
Ils viennent ici parler à l'Apu, lui demander protection.
On peut se demander, avec le recul rapide de ces glaciers, ce qui va advenir de la cosmovision andine.
- Voici un nouveau frère qui va intégrer notre communauté, ici, sur le glacier.
Avec la permission du seigneur Qoylluriti, nous allons commencer le baptême.
- Après avoir été symboliquement baptise par le fouet, le novice est désormais un nouveau gardien du Colquepunku.
Les Ukukus sont conscients des dangers qui pèsent sur leur glacier sacré.
Redoutant de voir disparaître le siège de l'esprit de l'Apu, ils ont renoncé au rituel le plus important du Qoylluriti.
- En 2001, ce qui m'avait frappé, c'était de voir les Ukukus prélever de la glace, la casser avec des pierres, et la descendre sur leur dos pour
en faire bénéficier les communautés, puisque cette eau de l'Apu a des vertus miraculeuses pour eux.
Ma surprise a été grande de voir qu'ils n'enlevaient plus la glace.
Je leur ai demandé pourquoi ce rituel séculaire a été si vite abandonné.
L'un d'eux m'a dit : "On a constaté que le glacier était malade, qu'il diminuait de plus en plus".
Pour ne pas aggraver son état, "on a décidé de le laisser tranquille et de cesser d'enlever la glace".
Ça m'a fait réfléchir.
Quand on voit, nous, qui sommes quand même les protagonistes du changement
climatique, les sociétés développées, qui polluent, contaminent l'atmosphère, il nous faut combien de conférences et de conférences pour prendre des décisions...
qui ne sont toujours pas prises ! Alors que ces sociétés qui vivent au contact de la nature savent immédiatement réagir, prendre les bonnes décisions.
On pourrait s'inspirer de cet exemple.
- Les pèlerins plient bagages, le coeur lourd.
Ils ont peur de voir un jour la fin du Qoylluriti.
La fonte des glaciers andins est une tragédie.
Si l'eau ne coule plus de la montagne, la vie s'éteindra dans les hautes vallées.
Les peuples de la cordillère perdront une part de leur âme et leur culture, déjà gravement menacée.
Si les glaciers des Andes venaient à disparaître, le monde entier en serait orphelin.
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